Parce que j’en ai marre d’entendre “l’innovation c’est pas pour moi”

Ou “mais au fait, c’est quoi l’innovation ?”

Charlotte Duval
9 min readMay 27, 2019

Lorsque l’on entend innovation, souvent, on comprend innovation technologique ou de rupture, on pense labos de recherche ou encore très grosses entreprises.

L’innovation ce n’est pas que ça. C’est aussi une façon de fonctionner que tout à chacun peut adopter. Toute entreprise, de toute taille et de tout secteur d’activités, peut réfléchir à ce qu’elle fait, à comment elle le fait, et ce qu’elle pourrait apporter de plus ou différemment à ses client·e·s, utilisateur·trice·s, partenaires, …, pour innover.

Une définition que l’on peut donner de l’innovation, c’est :

  • Quelque chose de nouveau (c’est un bon début me direz-vous) : un produit, mais aussi un service, une façon de fonctionner, une façon de vendre, …,
  • Qui est techniquement faisable (désolée pour cette désillusion, la téléportation n’est pas encore une innovation),
  • Qui est désirable par les utilisateur·trice·s : qui répond à un besoin réel (par exemple, se déplacer d’un point A à un point B) et/ou à un usage (par exemple, le besoin de propriété ou respect de l’environnement),
  • Et qui est économiquement viable : qui repose sur un modèle d’affaires a minima à l’équilibre (en très gros, une solution pour laquelle quelqu’un·e est prêt·e à payer).

Il existe différentes façons de répondre à ces quelques critères, et donc différents types d’innovation et différentes façons d’innover.

Et de manière concrète ça donne quoi ? Faisons un parallèle avec le monde de la boulangerie-pâtisserie, monde qui parle à la majorité d’entre nous.

L’innovation peut être produit

Comme dans tous secteurs, le secteur de la pâtisserie peut innover sur ses produits, et peut innover de différentes façons : en faisant un travail sur les goûts, en revisitant les pâtisseries traditionnelles, en incorporant des ingrédients exotiques ou émergents, en inventant de nouveaux gâteaux, …

Le cronut — Source : www.instagram.com/dominiqueansel

Il est possible d’innover en faisant ce qu’on appelle une hybridation (mélanger deux éléments connus pour en créer un nouveau), un exemple qui a fait grand bruit est celui du cronut, hybride entre le croissant français et le donut américain, proposé en 2013 par le chef-pâtissier français Dominique Ansel dans sa boutique de New-York (400 pièces vendues par jour, limité à 2 par personne — certain·e·s faisaient encore 2h d’attente 2 ans après sa sortie pour en acheter).

On peut également innover en proposant de nouveaux produits en choisissant de revisiter un produit traditionnel ou habituel en y incorporant sa touche personnelle, par exemple un pâtissier breton a choisi de combiner le mille-feuilles traditionnel (pâte feuilletée croustillante, crème mousseline à la vanille, et fondant blanc et chocolat noir pour la déco — miam !) avec un élément caractéristique de la gastronomie locale, le caramel au beurre salé, pour en faire un produit spécifique de sa boutique (pâtisserie que j’ai eu l’occasion de croiser dans la boulangerie-pâtisserie La Petite Guipelloise).

L’innovation peut être de service

Il est donc possible d’innover sur ses produits, mais on peut aussi le faire sur les services que l’on propose autour de ses produits pour apporter une valeur ajoutée à sa clientèle, ou pour atteindre une autre clientèle qui a des habitudes différentes de la clientèle habituelle.

Voici l’exemple de la boulangerie-pâtisserie MAISON BÉCAM à Saint-Barthélemy d’Anjou qui s’est inspirée de ce qui se fait notamment dans la grande distribution pour l’adapter à son activité et proposer des services en ligne : une boutique en ligne avec possibilité de livraison à domicile ou de retrait en boutique des commandes faites en ligne.

L’offre de services de la Maison Bécam — Capture d’écran du site www.maisonbecam.com

L’innovation peut être d’usage

Les habitudes de consommation évoluent, les préoccupations des populations changent en fonction des actualités, des évolutions de la société, …, il est intéressant de réfléchir à comment la clientèle souhaite utiliser nos produits. Quels nouveaux usages les consommateur·trice·s recherchent ?

J’ai relevé l’exemple du « kit prêt à cuisiner » que plusieurs boutiques en ligne et physiques, dont celle de La Mirontaine installée en Touraine, proposent : des bocaux en verre contenant l’intégralité des ingrédients « secs » nécessaires à la confection de brownies, cookies, … Ces produits répondent à la recherche d’authenticité, de faire soi-même, et pour l’exemple de La Mirontaine, au besoin d’acheter local.

Capture d’écran du site internet La Mirontaine www.mirontaine.fr

L’innovation peut être de modèles d’affaires

Le modèle d’affaires, c’est la façon dont une entreprise « fait de l’argent », c’est la façon dont elle articule ce qui lui coûte de l’argent (les loyers, les salaires, les matières premières, les équipements, l’abonnement téléphonique, …) et ce qui lui rapporte de l’argent (la vente de produits, l’abonnement à des services, le prélèvement de commissions sur les ventes d’une entreprise tierce, …). Innover sur son modèle d’affaires, c’est réfléchir à de nouvelles façons de monétiser sa proposition de valeur (ses produits et services).

Petit échec personnel, je n’ai pas trouvé d’exemple dans le secteur de boulangerie-pâtisserie me permettant d’illustrer ce type d’innovation, mais je vous propose que nous en imaginions un : et si une boulangerie-pâtisserie proposait à ses client·e·s de ne plus avoir à chercher de la monnaie pour acheter leur baguette quotidienne ? et si cette boulangerie mettait en place un système d’abonnement ? Pour une somme forfaitaire payée d’avance, le ou la cliente pourrait venir chercher une baguette “gratuite” quotidiennement pendant une période donnée. Et voilà, nous avons notre innovation de modèle d’affaires ! L’avantage pour notre boulangerie ? Vendre avant de produire (et donc avant d’acheter les matières premières nécessaires à la production).

L’innovation peut être commerciale ou marketing

Une entreprise peut innover sur ce qu’elle vend, sur la façon de récolter de l’argent, …, mais aussi sur la façon de vendre et de mettre en avant ses produits et services.

C’est ce que La Pâtisserie des Rêves (d’abord à Paris puis dans d’autres capitales mondiales) a choisi de faire en mettant en avant ses produits comme des bijoux ou des produits de luxe dans des boutiques épurées qui invitent la clientèle à s’émerveiller devant les pâtisseries.

La présentation des produits dans La Pâtisserie des Rêves — Source : www.lapatisseriedesreves.com

Autre façon de vendre différemment ses produits, celle de répondre aux enjeux qui comptent pour vos cibles clientèles. C’est le cas de l’application mobile Too Good To Go qui permet aux consommateur·trice·s d’acheter des « paniers mystère » constitués des invendus de la journée de commerces, à récupérer le soir en boutique, et ainsi participer à la lutte contre le gaspillage alimentaire.

Et il n’y a pas que les personnes qui se sentent concernées par ce sujet qui trouvent leur compte dans cette appli. Il y a aussi les personnes qui surveillent de près leur budget et/ou qui souhaitent favoriser les commerces de proximité, les commerces qui souhaitent revaloriser leurs invendus pour diminuer leurs pertes, …

Ce qui permet ici d’illustrer la notion de valeur perçue d’une solution : pour une même proposition de valeur (un même produit, un même service), les client·e·s (particuliers ou professionnels) ne perceveront pas forcément la même valeur, ne retiendront pas forcément les mêmes composantes comme intéressantes. On peut donc chercher à atteindre différents segments clientèle avec une seule et même offre en adaptant l’argumentaire commercial et les outils de communication en fonction de la personne, de la cible clientèle à qui l’on s’adresse.

L’innovation peut être sociale

Le paragraphe précédent a commencé à aborder les innovations qui répondent aux enjeux sociétaux et aux sujets d’actualité. L’innovation peut donc être sociale : chercher à lutter contre les inégalités, à réduire l’impact de l’activité humaine sur l’environnement, à venir en aide aux populations en difficultés, …

C’est notamment l’exemple des « baguettes en attente » ou « baguettes suspendues ». Certaines boulangeries proposent à leur clientèle d’acheter deux baguettes plutôt qu’une : une pour sa consommation personnelle, et une autre « en attente », qui sera proposée gratuitement à une personne dans le besoin (une personne sans domicile fixe par exemple). Notamment dans cette boulangerie de Saint-Omer : Article La Voix du Nord.

L’innovation peut être d’organisation

Une boutique peut aussi réfléchir à s’organiser différemment pour gagner en productivité, en efficacité, …, ou encore pour améliorer son image ou la fonctionnalité du lieu pour la clientèle.

On pourra parler :

  • D’innovation organisationnelle : en revoyant le parcours des personnes dans la boutique (en dédiant une porte aux entrées et une autre aux sorties par exemple), …
  • D’innovation de procédé : en intégrant de nouvelles machines de production, en repensant les flux de personnes et de matières premières dans le labo, …
  • D’innovation managériale : en facilitant la remontée d’idées d’améliorations venant par les salarié·e·s ou en mettant en place des horaires flexibles quand c’est possible par exemple, …

Pendant un temps j’allais acheter mon déjeuner au Fournil de Pierre tous les jours, et j’ai remarqué que l’organisation changeait fréquemment et introduisait petit à petit de nouveaux outils pour améliorer le parcours des client·e·s (et aussi le travail des employé·e·s). J’avais ainsi affaire à une boulangerie qui utilise l’amélioration continue et l’expérimentation pour rendre son organisation la plus efficace possible.

L’innovation peut (effectivement) être technologique

Et bien sûr, l’innovation peut être technologique, certains exemples se sont déjà glissés dans cet article (les applications mobiles, les boutiques en ligne, les innovations de procédé grâce à de nouvelles machines, …) et l’on pourrait en trouver beaucoup d’autres comme l’impression 3D agroalimentaire, l’utilisation de caisses enregistreuses dernière génération, d’écrans-vitrines animés, …

Photo de l’utilisation du Jelly Economy de Boyens — Source : catalogue de Boyens, https://www.monoequip.com/userfiles/files/boyens-catalogue-en.pdf

Pour illustrer cela, je vous présente le projecteur de gelée Boyens qui permet de gagner du temps sur la finalisation des tartes avec de la gelée (souvent à base de confiture ou de sirop de sucre) pour les rendre brillantes et encore plus appétissantes, mais également de mieux contrôler la quantité appliquée et ainsi diminuer les pertes.

Pour récapituler, quels sont les différents types d’innovation ?

On peut ainsi définir 6 typologies d’innovation :

  • Les innovations de produit, de service ou d’usage, qui touchent la proposition de valeur de l’entreprise (ce qu’elle délivre à ses client·e·s),
  • Les innovations de procédé et d’organisation (et managériales), qui touchent la façon dont l’entreprise produit sa proposition de valeur,
  • Les innovations marketing et commerciales, qui touchent la façon dont l’entreprise va distribuer et vendre sa proposition de valeur,
  • Les innovations de modèle d’affaires, qui touchent la façon dont l’entreprise va gagner et dépenser de l’argent pour fournir sa proposition de valeur,
  • Les innovations technologiques, qui font que l’entreprise intègre ou se base sur des nouveautés technologiques pour être plus performante dans sa façon de délivrer sa proposition de valeur,
  • Et enfin, les innovations sociales (et sociétales), qui font que l’entreprise se donne une mission sociale, répond à un enjeu de notre société.

Sachant que souvent une innovation ne se classe pas seulement dans un type d’innovation mais est une combinaison de ces typologies pour répondre aux besoins des client·e·s et aux nouvelles habitudes de consommation (évolution du rapport à la propriété, de la conscience écologique de la population, …), et que dans chacune de ces catégories d’innovation, le niveau d’innovation peut aller de l’innovation incrémentale (qui part de l’existant pour le modifier) à l’innovation radicale ou de rupture (qui transforme profondément le marché ou qui crée un nouveau marché).

Ces différentes typologies sont proposées et définies dans le livre « Innovation Nouvelle Génération » publié par bpifrance en 2015.

Et vous, cela correspond-il à votre vision de l’innovation ? comment définiriez-vous l’innovation ?

Envie de parler d’innovation dans votre entreprise ? Envie d’explorer de nouvelles manières d’innover dans votre entreprise ?

Il y a quelques temps, j’ai été sollicitée pour sensibiliser un groupe à l’innovation et à l’approche centrée usager (ou design thinking). Chose que j’ai l’habitude de faire dans le cadre du Programme APOLLO www.programmeapollo.fr ou du Challenge Compétences www.challenge-competences.fr, mais ce qui m’a particulièrement plu dans cette expérience, c’est son public, inhabituel pour moi : un groupe de personnes en reconversion professionnelle pour obtenir leur CAP Pâtisserie.

Je me suis alors fait une joie d’adapter ma façon de présenter l’innovation en cherchant des exemples concrets dans le secteur de la pâtisserie (et un peu de la boulangerie).

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Cet article vous a plu ? N’hésitez pas à me suivre pour être notifié·e de mon prochain article.

Et si vous le partagiez à un·e ami·e curieux·se ? :)

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Charlotte Duval

Chargée d’accompagnement des entreprises chez @LMTinnovation. Stories about #innovation, #accompagnement #entreprise, #créativité et autres