7 clés pour mener à bien une enquête centrée usager

Charlotte Duval
10 min readJul 1, 2019

L’une de mes missions est d’accompagner les entreprises dans leurs projets d’innovation en utilisant la méthode centrée usager (ou design thinking pour les plus anglophones d’entre nous), méthode qui propose de mettre l’usager au cœur de vos process d’innovation (et/ou de développement de nouveaux produits et services).

Dans le processus que nous proposons, une importante étape est celle de l’enquête terrain, que nous appelons entre nous runs : nous demandons aux personnes de l’entreprise de « courir » de rendez-vous en rendez-vous pour rencontrer leur cible clientèle et ainsi apprendre le plus de choses possibles auprès de gens différents.

Voici quelques clés si vous souhaitez vous lancer dans la démarche.

1. Bien préparer son enquête

La première chose à faire est bien sûr de préparer son enquête, à savoir d’écrire les hypothèses que l’on fait sur sa cible clientèle (et j’insiste bien sur le mot écrire, pas seulement dire ou discuter avec les collègues — en utilisant par exemple la méthode des personas –) et de définir le mode opératoire pour savoir si oui ou non les hypothèses énoncées sont vraies pour la personne en face de vous.

Le mode opératoire auquel je prépare les entreprises est celui de l’entretien semi-directif sur le terrain, à savoir un entretien que l’on mène chez la personne interviewée (à son domicile ou dans son entreprise en fonction de s’il s’agit d’une cible particulière ou professionnelle) et pour lequel on a préparé une trame, une liste de sujets que l’on souhaite aborder, une liste de questions à poser, … mais un entretien où l’on se laisse la liberté de ne pas suivre la trame pour peut-être découvrir des choses que l’on ne s’attendait pas à apprendre.

Cette liste de sujets et de questions ne se définit pas à la légère : pour chacun·e d’entre nous, il y a ce que l’on pense, ce que l’on dit, ce que l’on fait, ce que l’on entend, ce que l’on comprend, … et ce qui est important dans la communication c’est de comprendre ce que la personne dit (et pourtant ce qu’elle pense, elle ne nous le dit pas forcément, et ce qu’elle nous dit, nous ne l’entendons ni ne le comprenons pas toujours).

Il ne suffit pas de passer les hypothèses que l’on fait à la forme interrogative, l’objectif est de faire en sorte que petit à petit la personne en face de nous nous apporte les informations que l’on cherche sans forcément s’en rendre compte pour éviter tout biais (une question trop fermée qui implique la réponse, une réponse donnée pour faire plaisir ou parce que l’on pense que c’est la réponse recherchée, …).

Il s’agit d’amener l’enquêté·e à nous raconter une expérience passée, une situation vécue, pour faire appel à sa mémoire, à son ressenti, plutôt qu’à son imagination, en lui posant des questions ouvertes, puis de fil en aiguille de lui poser des questions de plus en plus précises, …, pour ainsi obtenir des informations fiables. Le mieux, c’est quand la personne nous apporte les réponses qui nous intéressent avant même que la question ne soit posée.

Racontez-moi la dernière fois où vous avez eu besoin d’un nouveau bâtiment. […] Quel était votre besoin initial ? […] Comment ça s’est passé ? […] Pourquoi ? […] À qui vous êtes-vous adressé en premier lieu ? […] Qui étaient vos interlocuteur·trice·s ? […] Comment les aviez-vous choisi·e·s ? […] Pourquoi ? […]

Et bien sûr cette liste n’est ni exhaustive ni à dérouler de A à Z, et surtout n’est pas à montrer explicitement. Il est essentiel de s’approprier son questionnaire, de chercher à mémoriser les différentes étapes, les différents sujets à aborder, et les hypothèses que l’on souhaite vérifier.

La dernière étape pour définir notre mode opératoire est de quantifier nos objectifs dans l’enquête : l’objectif de nombre d’entretiens à réaliser (10 personnes par cible par exemple) mais aussi le moment à partir duquel nous considérerons que notre hypothèse est validée (si 8 des 10 personnes la confirment par exemple).

Exemple de « fiche hypothèse » que l’on peut préparer avant son enquête terrain.

2. Savoir qui aller voir

Une fois le mode opératoire défini, pour questionner des gens, il faut trouver des gens !

Pour cela, il y a plusieurs « sources » possibles :

  • Nos réseaux personnels et professionnels : est-ce que dans mon entourage, des personnes font partie des cibles que je souhaite rencontrer ? est-ce que des personnes de mon entourage seraient OK pour que je contacte de leur part des gens de leurs propres réseaux ?
  • Nos client·e·s : est-ce que parmi mes client·e·s, des gens font partie des cibles concernées ? est-ce que je suis à l’aise pour leur proposer de discuter à ce sujet ?
  • Les lieux et événements où notre cible à l’habitude d’aller et où l’on peut collecter rapidement les coordonnées de personnes à contacter ensuite (sous prétexte de les avoir précédemment rencontrées) : sur le marché, dans des colloques, des salons, lors d’événements sportifs, culturels, …
  • Et plein d’autres à imaginer…

Un exemple que j’aime bien présenter pour parler de l’état d’esprit à avoir lorsqu’on se lance dans une enquête terrain est celui d’un entrepreneur qui souhaitait lancer un projet de mobilité en milieu rural à destination des particuliers. Pour rencontrer sa cible, devinerez-vous ce qu’il a fait ? Il s’est assis au comptoir du café d’un bourg et a proposé de payer le café aux gens qui acceptaient de lui accorder un peu de temps pour discuter avec lui.

Comment êtes-vous venu ici aujourd’hui ? est-ce comme ça que vous faites habituellement ? est-ce une solution qui vous convient ? pourquoi ? avez-vous déjà eu des difficultés à vous déplacer ? racontez-moi …

Je ne me souviens plus de combien de personnes il a effectivement rencontrées, mais il a appris énormément de choses lors de cette journée.

Faites comme lui, adaptez-vous à votre cible, allez là où elle se trouve, et allez-y au culot, les gens ne mordent pas. Pour citer un philosophe très connu : « sur un malentendu, ça peut marcher ! ».

3. Prendre rendez-vous

Il sera beaucoup plus facile (surtout pour une cible professionnelle) d’obtenir un rendez-vous si vous connaissez la personne, ou si vous contactez la personne de la part d’une relation commune.

Dans le cas où les personnes que vous souhaitez contacter ne font pas partie de vos connaissances habituelles, préparez bien votre premier contact, renseignez-vous sur l’entreprise, sur qui fait quoi, sur l’identité de la personne qu’il sera le plus pertinent de voir pour vous, … (les sources peuvent être diverses et variées : site internet de l’entreprise, réseaux sociaux de l’entreprise et des personnes que vous souhaitez rencontrer, societe.com, presse locale, …).

Dans le cas d’une prise de contact par téléphone, attention à supprimer au maximum l’impression de démarchage commercial, il faut être clair·e sur son approche, sur ses objectifs. Par exemple, voici une accroche que l’on pourrait utiliser (pour une cible professionnelle) :

« J’ai vu que vous veniez de faire construire un nouveau bâtiment et je souhaiterais vous rencontrer pour en discuter car je cherche à mieux connaitre les habitudes et les besoins d’entreprises comme la vôtre, je pense que vous pouvez m’aider sur ce sujet. Peut-on prévoir un moment pour se rencontrer ? »

Préparez-vous tout de même à essuyer quelques refus, à ce que les gens ne comprennent pas tout de suite (ou pas du tout) votre démarche. Mais en général, la nature humaine est bienveillante et les êtres humains sont un peu orgueilleux, ils aiment bien parler d’eux, surtout si vous leur faites comprendre que vous avez besoin d’eux !

4. Mener l’entretien

Et une fois qu’on a obtenu le rendez-vous, qu’est-ce qu’on fait ?

Au début de l’entretien avec la personne, il ne faut pas hésiter à prendre un peu de temps pour (re)présenter sa démarche (sans aller jusqu’à parler de l’idée que l’on a derrière la tête pour éviter les biais), pour rappeler que l’on cherche à en savoir plus sur la personne (ou son entreprise), sur ses habitudes, …, et ne pas oublier de demander combien de temps la personne peut nous accorder (même si dans les faits, lorsque l’échange se passe bien, le temps passé dépasse le temps accordé au départ).

Et puis … il faut commencer !

Quelques conseils pour adopter un bon état d’esprit pendant votre entretien :

  • Être à l’écoute de son interlocuteur·trice est primordial, cela va de soi mais cela veut aussi dire de ne pas avoir peur du silence, de savoir se taire pour laisser la personne réfléchir, éventuellement lui demander de penser à haute voix. Écouter c’est aussi observer son attitude, ses gestes, son environnement, les choses qu’elle regarde en nous répondant, …
  • Oublier ses a priori, partir du principe que l’on ne sait rien : ne faut pas orienter ses questions, faire en sorte que nos questions soient ouvertes, quitte à ce qu’elles paraissent naïves (« y’a pas d’question bête, y’a qu’des réponses c**** » comme dirait l’autre).
  • Reformuler les réponses qui nous semblent évidentes pour s’assurer d’avoir bien saisi le propos et éviter les biais.
  • Ne pas forcer : si l’on sent que la personne n’est pas à l’aise avec le sujet abordé, il ne faut pas trop insister pour construire une relation de confiance avec elle, quitte à ce qu’au final elle nous donne l’information, mais plus tard, sous une autre forme.
  • Prendre des notes sur une feuille vierge est préférable à prendre des notes sur un questionnaire ou dans un tableau pour faire oublier à l’enquêté·e qu’il·elle est enquêté·e. La discussion deviendra de plus en plus naturelle et la personne pourra se laisser aller à raconter des choses qu’elle n’aurait pas dites en situation de « rendez-vous formel ».
  • Noter les « verbatims », les mots forts utilisés : parce que les mots ont un sens (un « ça m’embête » ne veut pas dire tout à fait la même chose qu’un « ça me saoule ») et qu’en écrivant les mots véritablement dits, on réduit le risque de biais d’interprétation à la relecture.

Pour illustrer la force d’un entretien semi-directif, je peux vous donner l’exemple d’un chef d’entreprise a qui j’avais demandé quel était l’objectif de croissance de son entreprise et qui m’avait répondu qu’il ne réfléchissait pas en termes de chiffres et qu’il ne pouvait pas vraiment répondre à ma question … et qui au fil de la discussion a fini par me dire qu’il avait un objectif de croissance de son chiffre d’affaires de 10% par an pendant 5 ans. Pour quelqu’un qui n’est pas très chiffre …

5. Penser à la suite

Et enfin, lorsque notre curiosité est épuisée (je ne crois pas que cela soit possible, mais bon admettons) ou que le temps que la personne pouvait nous accorder est écoulé (c’est plus probable), il faut penser à préparer la suite : ne jamais quitter un rendez-vous sans les coordonnées d’une ou deux personnes à appeler de la part de l’enquêté·e !

Je disais enfin, mais ce n’est pas tout à fait la fin du travail : après chaque entretien, je conseille fortement de reprendre un temps le soir-même ou le lendemain pour parcourir ses notes et les compléter avec ses souvenirs, les choses que l’on n’a pas eu le temps de noter, notre ressenti sur la personne, …

Les paroles s’envolent mais les écrits restent. Il vous sera plus facile de vous rappeler la teneur du rendez-vous le soir-même que quelques semaines plus tard au moment de l’analyse.

6. Suivre ses résultats

En plus des notes prises, il peut être utile de tenir une sorte de « cahier d’observation », qui pour chaque personne rencontrée consigne les informations importantes et si oui ou non cette personne valide chacune des hypothèses faites. Ainsi que les éventuelles découvertes, les choses (dites ou vues) que l’on ne s’attendait pas à voir.

Ainsi, tout au long de notre enquête, avant qu’elle ne soit terminée, on peut déjà avoir un premier aperçu des résultats, se rendre compte de sujets sur lesquels finalement on n’a pas suffisamment d’informations pour orienter les prochaines rencontres, …, et éventuellement se rendre compte en amont que nos hypothèses sont infondées et que pour optimiser la démarche il serait opportun de les retravailler pour les entretiens suivants.

7. Analyser

Une fois votre objectif de nombre d’entretiens atteint (au minimum, il est tout à fait possible d’en faire plus si on y a pris goût), vient le temps de l’analyse et de la synthèse des apprentissages.

Rappelons-nous que lors de la préparation nous avons défini un moment où l’on considère notre hypothèse validée : l’heure est venue d’analyser les différents comptes rendus, notre cahier d’observation, pour mettre au jour les hypothèses validées et les hypothèses non validées.

Petite parenthèse, sachez qu’une hypothèse invalidée est autant d’apprentissage (voire plus) qu’une hypothèse validée : à défaut d’avoir validé que nous savions bien quelque chose, nous nous sommes rendu compte que nous nous trompions et nous allons pouvoir éviter certaines erreurs !

Si l’on a réalisé un travail sur les personas (fiche persona, carte d’empathie, …) c’est également le moment de reprendre ces outils et de comparer l’imaginé du vérifié, et de partager ces informations avec toutes les personnes pour qui cela pourrait être utile : l’équipe projet, le bureau d’études, le service commercial, les équipes de production, …

Et après me demanderez-vous ?

À vous de jouer, vous avez maintenant toutes les cartes en main pour concevoir des produits et services qui répondent aux besoins et attentes de vos client·e·s !

Et vous, avez-vous déjà mené une enquête centrée usager ? Dans quelles conditions ? Avec quels résultats ?

Avez-vous d’autres conseils et astuces à partager pour mener à bien ce genre d’enquête ?

Les différents outils cités dans cet article (persona, observation, entretiens terrain, …) sont utilisés dans la méthode centrée usager, ou design thinking.

Méthode sur laquelle se base plusieurs programmes d’accompagnement de Laval Mayenne Technopole, dont Idenergie pour les porteurs et porteuses de projet de création d’entreprise innovante, le Programme APOLLO pour les PME qui souhaitent innover, qui souhaitent se réinventer, ou encore le tout nouveau SO Factory qui accompagne des intrapreneur·e·s issu·e·s d’entreprises qui souhaitent développer un de leurs projets d’innovation “en mode startup”.

N’hésitez pas à me contacter pour en savoir plus :)

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Et si vous le partagiez à un·e ami·e curieux·se ? :)

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Charlotte Duval

Chargée d’accompagnement des entreprises chez @LMTinnovation. Stories about #innovation, #accompagnement #entreprise, #créativité et autres